Très jeune, j’avais été fasciné par les papillons exotiques, que j’admirais dans le livre « Joyaux ailés », des éditions Schüler (Stuttgart), paru en 1955. A l’Ecole Normale Supérieure, conseillé par l’entomologiste Henri Descimon, j’ai commencé en 1966 à étudier la systématique et la répartition géographique de deux groupes d’espèces magnifiques : les Ornithoptères de la famille des Papilionidae, inféodés pour la plupart à la Nouvelle Guinée et aux îles avoisinantes, et les Morphinae, une sous-famille des Nymphalidae, qui n’existe que dans les forêts tropicales d’Amérique. J’ai également collaboré à des études sur des Nymphalidae d’Afrique.

Parallèlement, de 1973 à 1979, j’ai été amené à étudier la classification des araignées, en lien avec la préparation de mon doctorat ès sciences consacré à l’écologie de ces animaux dans la savane de Lamto, en Côte d’Ivoire.

Morpho cisseis cabrera Blandin & Lamas, 2007, holotype, conservé au Museo de Historia Natural, Universidad Mayor de San Marcos, Lima

1. LES PAPILLONS SUD-AMERICAINS DE LA SOUS-FAMILLE DES MORPHINAE (famille NYMPHALIDAE) I

Très diversifiée, la sous-famille des Morphinae rassemble le genre Morpho (qui comprend notamment des papillons bleu métallique) et plusieurs autres genres regroupés dans la tribu des Brassolini, dont les fameux « papillons-chouettes », qui ont comme de gros yeux dessinés sous les ailes. A l’occasion d’un colloque international organisé par Henri Descimon en 1976, consacré à la biogéographie et à l’évolution en Amérique Tropicale, j’ai réalisé une synthèse des connaissances sur la répartition géographique des espèces de Brassolini, puis j’ai abordé les modalités d’évolution de certaines espèces.

Mon travail le plus important a été la remise en ordre complète de la classification du genre Morpho, dont la publication a été achevée en 2007. J’ai en même temps établi les cartes de répartition géographique de toutes les espèces et sous-espèces. Une région m’était rapidement apparue comme ayant une diversité d’espèces particulièrement élevée, avec des répartitions géographiques compliquées : le nord du Pérou. Depuis 2005, j’y effectue régulièrement des missions afin d’étudier de façon précise la répartition des espèces de Morpho et des autres Morphinae.

2. ETUDES SUR LE GENRE ORNITHOPTERA (famille PAPILIONIDAE)

En 1967, j’avais participé au financement d’une expédition de Claude Moinier, un voyageur naturaliste, en Nouvelle-Guinée et dans les îles périphériques. Il rapporta en particulier des Ornithoptères des îles de l’Amirauté, appartenant à une sous-espèce très mal connue, dont j’ai publié une description détaillée. En quelques années, j’ai constitué une collection de plus de 200 spécimens, et publié quelques notes. J’avais l’intention de faire une étude d’ensemble des Ornithoptères, mais je fus contacté, au milieu des années 1970, par un lépidoptériste danois, Jan Haugum, qui s’était déjà lancé dans ce travail. J’ai donc collaboré avec lui, pour lui fournir des informations, des spécimens, des photographies de spécimens et des dessins de pièces génitales, qui ont été publiés dans son livre (Haugum, J. & Low, A.M., A Monograph of the Birdwing Butterflies, The Systematics of Ornithoptera, Troides and Related Genera, ouvrage publié par parties de 1978 à 1985).

Ornithoptera priamus urvillianus, d’après une planche de « Joyaux Ailés », édité par SCHULER VERLAG, Stuttgart, 1955

3. ÉTUDES SUR DES NYMPHALIDAE D’AFRIQUE

J’ai profité de séjours à la station d’écologie de Lamto, en Côte d’Ivoire, en 1973 et 1974, pour récolter des papillons du genre Charaxes. En collaboration avec Roger Vuattoux, le directeur de la station, et avec Jacques Plantrou, un amateur spécialiste de ce genre, nous avons publié un inventaire des espèces locales. La collaboration s’est poursuivie avec Roger Vuattoux, qui élevait de nombreuses espèces à partir d’œufs et de chenilles récoltées dans la nature. Par ailleurs, Jacques Plantrou a réalisé une révision des Charaxes d’Afrique et des îles avoisinantes, qui a fait l’objet d’une thèse de l’Université Pierre et Marie Curie, préparée sous ma direction (Plantrou, J., 1983.- Sytématique, biogéographie et évolution des Charaxes africains (Lépidoptères, Nymphalidae), 456 p.). Nous en avons extrait une étude sur les Charaxes des îles africaines, où nous avons testé l’hypothèse de la biogéographie insulaire, selon laquelle le nombre des espèces dans une île est d’autant plus faible que l’île est plus petite et plus éloignée du continent d’où ont émigré les espèces observées.

Diverses espèces de Charaxes d’Afrique, d’après une planche de « A Field Guide to the Butterflies of Africa », par John. G. Williams, Collins, Londres, 1969

4. ÉTUDES SUR DES ARAIGNÉES TROPICALES

Dans le cadre de ma thèse de Doctorat ès Sciences sur l’écologie des araignées de la savane de Lamto, en Côte d’Ivoire, commencée en 1969, j’ai été amené à étudier, à l’échelle de l’Afrique, la classification d’araignées, vivant en savane ou en forêt, appartenant à la famille des Pisauridae, et plus précisément à la sous-famille des Pisaurinae (j’avais exclu de mon analyse les espèces inféodées aux milieux aquatiques, regroupées dans d’autres sous-familles). Cette famille m’avait été conseillée, pour faire mes premiers pas en Systématique, comme devant être assez facile. J’ai commencé cette recherche en 1973, avec notamment une mission au Musée Royal de l’Afrique Centrale (Tervuren, Belgique). Elle s’est concrétisée par 11 publications, parues de 1974 à 1979.

Le travail a été mené selon la démarche classique de la Systématique : repérage bibliographique des genres et des espèces déjà décrits, emprunts des spécimens de référence (les « types ») auprès de muséums, essentiellement européens, mais aussi africains, vérification de la cohérence entre descriptions et types, établissement d’éventuelles synonymies, au niveau des genres et des espèces, description des genres valides et des genres nouveaux, des espèces valides et des espèces nouvelles, le tout illustré par de très nombreux dessins à l’encre de Chine, que j’ai faits à la plume sur carte à gratter ( carton recouvert d’une couche d’amidon, que l’on peut gratter pour créer des effets, en faisant apparaître des surfaces, traits ou points blancs sur des zones préalablement noircies à l’encre).

Plusieurs genres nouveaux ont été décrits, à la suite de découvertes de nature bien différente. Des genres déjà connus se sont révélés hétérogènes, parce que regroupant des espèces d’apparence similaire, mais ayant en réalité des caractères fondamentaux différents : il a fallu les diviser, en séparant certaines espèces dans des genres nouveaux. J’ai par ailleurs découvert un nouveau genre sur le terrain, dans la savane de Lamto. Enfin, j’en ai découvert plusieurs autres en fouillant dans la collection du Musée de Tervuren, où des spécimens malgaches attendaient, précieusement conservés, qu’un spécialiste les étudie !

Araignée de la famille des Pisauridae

5. LES PROBLÈMES DE L’ESPÈCE

Au milieu des années 1970, la Société Zoologique de France avait entrepris la publication d’un ouvrage collectif, en trois volumes, « les problèmes de l’espèce dans le règne animal ». Cet ouvrage était dirigé par Charles Bocquet, Maxime Lamotte et Jean Génermont, trois normaliens promoteurs en France de la théorie synthétique de l’évolution, à la suite de deux autres normaliens, Georges Teissier et Philippe L’Héritier. Les différents chapitres, écrits par des spécialistes, étaient consacrés à des groupes zoologiques différents, l’objectif général étant de montrer que l’étude des espèces se trouve confrontée à une diversité de situations assez inattendue, qui est, selon les directeurs de l’ouvrage, « l’inévitable conséquence de l’évolution biologique, dont l’espèce est tout à la fois fruit, étape et preuve » (avant-propos du tome I, 1976).

En 1977, Maxime Lamotte me demanda d’écrire un chapitre consacré aux araignées pour le deuxième volume (Blandin, 1977). Pour le troisième volume, consacré aux différents types de critères de détection des espèces, il me demanda de traiter des critères morphologiques (Blandin, 1980).

Formé à l’école de la théorie synthétique de l’évolution, j’étais bien conscient que la distinction « d’espèces » sur la base de différences morphologiques ne garantit pas qu’il s’agisse d’espèces au sens biologique du terme. Pour autant, la séparation biologique n’est pas simple à mettre en évidence, et l’on en reste le plus souvent à l’utilisation de critères morphologiques pour décider du classement des spécimens, en particulier dans le monde immense des insectes. Par ailleurs, il existe des situations où un processus de séparation d’espèces est inachevé, ce dont ne peut rendre compte correctement une systématique « en tout ou rien », qui voudrait que tout individu soit nécessairement classé dans une espèce précise. En fait, il faut s’attendre à trouver des situations « inclassables » ; ce sont les plus passionnantes, car elles témoignent de processus de spéciation (c’est-à-dire de formation d’espèces distinctes) non aboutis, donc de l’évolution en marche. Décider que des individus que l’on tente de classer appartiennent à une même espèce, ou à des espèces différentes, comporte donc toujours une part de risque. La question est toujours d’actualité, compliquée encore par le développement des méthodes de moléculaires, ce que j’ai évoqué récemment, à la demande de la Société Entomologique de France, dans un petit article intitulé « Aller à l’espèce, un rêve ? » (Blandin, 2009).

Les problèmes de l’espèce dans le règne animal, ouvrage publié par la Société Zoologique de France (1976, 1977, 1980)