J‘ai été nommé au Muséum en 1988. Il se trouve que c’est l’année où la décision fut prise, par le Président de la République, de lancer la rénovation de la Galerie de Zoologie. Le magnifique bâtiment, qui abritait les collections de Zoologie, était fermé au public depuis plus de 20 ans, mais les scientifiques du Muséum avaient bien avant engagé des réflexions sur sa rénovation, en particulier en 1976, sous la responsabilité de Francis Petter, du Laboratoire Mammifères et Oiseaux. En 1984, un groupe animé par Alain Foucault, du Laboratoire de Géologie avait proposé des orientations pour la politique d’action culturelle et muséologique du Muséum, qui ont inspiré un texte d’orientation, élaboré en 1986 en vue de la création d’une « Galerie de l’Evolution ». Sur cette base fut établi en 1987 le dossier permettant de lancer un concours de concepteurs. Il fut remporté par les architectes Paul Chemetov et Borja Huidobro, assistés du scénographe et cinéaste René Allio.

Fin 1988, le Muséum avait constitué une « Cellule de préfiguration », dirigée par Michel Van Praët. L’un des thèmes prévus dans le synopsis de la Galerie de l’Evolution était intitulé « Les relations Homme-Nature ». Il avait donné lieu à de nombreux travaux préliminaires, mais rien n’était réellement arrêté. Début 1989, le Directeur du Muséum, le Professeur Philippe Taquet, me demanda d’animer le commissariat scientifique de ce thème, afin d’élaborer un synopsis définitif. Etre ainsi invité à contribuer à la conception de ce thème, au sein de la Galerie de l’Evolution, c’était vraiment une chance exceptionnelle !

Une équipe pluridisciplinaire fut constituée, comprenant des écologues et des représentants des sciences humaines : Claudine Friedberg, anthropologue du Laboratoire Ethobiologie-Biogéographie, Geneviève Humbert, juriste de l’environnement, Laboratoire d’Écologie Générale, et Jean Servan, écologue du laboratoire des Systèmes Naturels et Modifiés. Au titre de la Cellule de Préfiguration, Fabienne Galangau était la muséologue chargée du thème, avec l’appui de Jacques Maigret, spécialiste de biologie marine, et de Francis Petter.

Notre travail s’est appuyé sur la consultation initiale d’une trentaine de personnalités extérieures, et il a bénéficié de l’expertise d’un très grand nombre de scientifiques sollicités sur des points précis. Au cours de nos nombreuses discussions, c’est Michel Van Praët qui introduisit l’expression « l’homme facteur d’évolution », qui allait devenir le titre définitif de « l’Acte 3 » de l’exposition. Un premier synopsis fut produit à la fin de 1989, qui inspira un exposé présenté lors d’un Colloque international organisé fin 1990 (Publication 111). Le synopsis définitif fut rendu en 1991. Avec Fabienne Galangau, j’ai relaté l’histoire de la genèse de cet acte, dans un chapitre d’un livre dirigé par Jacqueline Eidelman et Michel Van Praët, consacré à une analyse de la conception de la Grande Galerie de l’Evolution (Publication 165).

Le défi à relever était clair. Il ne fallait pas faire une exposition «environnementaliste », inventoriant les agressions actuelles à la nature, ni céder à la tentation de tenir un propos culpabilisant. Il s’agissait de montrer par quels processus l’Homme en est venu à influencer l’évolution du monde vivant, et à faire réfléchir les visiteurs sur nos choix pour l’avenir.

L’Acte 3 a été organisé à partir d’une idée simple. Depuis en gros 10 000 ans, les humains transforment la nature, et par conséquent modifient les environnements où évoluent les espèces. Ils interviennent sur la dynamique des populations de certaines espèces exploitées, domestiquent des espèces en sélectionnant des variétés nouvelles, transfèrent volontairement ou non, d’un continent à un autre, ou dans des îles, des espèces qui peuvent profondément modifier les systèmes écologiques où elles s’installent ; ils aménagent les territoires, modifiant et réorganisant les écosystèmes ; ils répandent des polluants. Les systèmes écologiques étant ainsi transformés, souvent profondément, les espèces se trouvent soumises à de nouvelles conditions de sélection, susceptibles de les faire évoluer.

La notion de « biodiversité », lancée par l’ouvrage de Wilson & Peter paru en 1988, fut prise en compte dès 1989 dans l’Acte 3, pour en expliciter la définition et soulever la question de son devenir. Dans une présentation des réflexions sous-tendant notre conception muséologique, faite en 1991 devant le Conseil Général du Génie Rural, des Eaux et des Forêts, je concluais que notre objectif était de faire comprendre que « la bio-diversité, produit de l’évolution est déjà, et désormais sera totalement le produit de la co-évolution homme-nature », chaque citoyen ayant alors à réfléchir au type d’évolution qu’il désire (Publication 112).

Initialement, l’inauguration de la Galerie de l’Évolution était prévue en 1993, à l’occasion du bicentenaire de la création du Muséum d’Histoire Naturelle par décret de la Convention. Diverses causes provoquèrent des retards, entre autres des difficultés soulevées par le Comité scientifique chargé de donner son avis sur le contenu de l’exposition : la conception de l’Acte 2, où devaient être présentés les mécanismes de l’évolution, était radicalement remise en cause. Un groupe de travail dut élaborer, en six mois, un nouveau contenu, alors que le chantier avançait sur la base du projet antérieur (d’où certaines incohérences dans l’emplacement de certains dispositifs…).

Début 1994, le Directeur du Muséum, le Professeur Jacques Fabriès, me demanda de prendre la direction de la Galerie, avec pour mission d’assurer son lancement et sa mise en exploitation. Pour autant, il n’était pas question que je quitte la direction du laboratoire d’Écologie générale, situé à Brunoy (Essonne).

Diriger un laboratoire de recherche, cela oblige certes à se familiariser avec des tâches administratives auxquelles l’Université ne prépare pas. Toutefois, le développement des activités scientifiques en constitue l’objectif central. Bien peu à voir, de ce fait, avec le pilotage de la Galerie. C’était un nouveau métier car, constituée comme service commun du Muséum, la Grande Galerie de l’Évolution avait les missions suivantes:

  • l’accueil des publics dans des expositions permanentes et temporaires;
  • la sécurité des biens et des personnes ;
  • la maintenance d’un bâtiment sophistiqué sous pilotage informatisé, y compris la zoothèque souterraine ;
  • la gestion administrative, dont celle des recettes (billetterie, boutique, locations d’espaces …) et celle des personnels rémunérés sur fonds propres ;
    la conservation des collections exposées et la préparation de spécimens pour de nouvelles expositions (ateliers de taxidermie)
  • la maintenance et l’amélioration de l’exposition permanente ;
  • l’organisation des expositions temporaires, des actions pédagogiques (de la petite enfance aux adultes, en passant par les personnes à handicaps), des manifestations culturelles, y compris dans l’espace du Jardin des Plantes ;
  • le développement d’un service de documentation spécialisé et des activités éditoriales ;
  • le développement d’un service audiovisuel ;
  • les relations avec la presse ; la communication et la recherche de partenariats;
    une politique de location des espaces ;
  • le développement de la politique commerciale de la boutique.

En outre, en 1995, le nouveau Directeur du Muséum, le Professeur Henry de Lumley, demanda à la Direction de la Galerie de monter un Diplôme d’Etudes Approfondies (DEA) en Muséologie, ce qui fut fait grâce à l’investissement de plusieurs responsables (services des collections, de l’action pédagogique et culturelle, des expositions, de la documentation) et d’une cellule de recherche en histoire et philosophie des sciences naturelles.

Pour remplir ces missions, la Direction de la Grande Galerie de l’Évolution avait sous sa responsabilité un personnel réparti en plus de 60 fonctions différentes et représentant plus de 120 équivalents temps plein. Les ressources financières, composées d’une subvention de l’État et de ses ressources propres, était d’un montant annuel de l’ordre de 75 000 000 F.

Lors d’un colloque international, à Milan, sur la communication de la science au public, j’ai évoqué les défis auxquels la création de la Grande Galerie de l’Évolution était confrontée, en particulier (publication146 ; voir aussi publication144). Mais il faut se référer au livre dirigé par Jacqueline Eidelman et Michel Van Praët (P.U.F., 2000), fruit d’une véritable recherche en muséologie, pour se rendre compte de ce que fut l’aventure muséologique de la transformation de l’ancienne Galerie de Zoologie en Grande Galerie de l’Évolution.

Pourquoi la Galerie de l’Évolution est devenue « grande » ?

Initialement, la Galerie de Zoologie devait être renommée « Galerie de l’Évolution ». Mais, au dessus de son entrée, on peut lire, gravé dans la pierre : « Grande Galerie ». Un intitulé sans identité, pour la satisfaction de certains responsables du ministère de l’Enseignement Supérieur, réticents à l’idée même d’évolution. C’est en 1994, quelques mois après l’inauguration, que le conseil d’administration du Muséum adopta l’intitulé « Grande Galerie de l’Évolution ».

Publications associées

  • 111. BLANDIN, P., 1991.- Entre passé et futur, le patrimoine naturel. In: ANONYME, Colloque International 22-23 novembre 1990. La Galerie de l’Evolution, Concepts et Evaluation. Cellule de Préfiguration, Muséum National d’Histoire Naturelle, Paris : 133-149.
  • 112. BLANDIN, P., 1991.- Ecologie et évolution : les responsabilités des hommes. Bulletin du Conseil Général du GREF, n°31, décembre 1991 : 123-130.
  • 130bis. BLANDIN, P., 1994.- L’éveil de la Grande Galerie (entretien avec Christine Coste). In : Le muséum national d’histoire naturelle. Beaux Arts Magazine, Hors Série : 24-37.
  • 133bis. BLANDIN, P., 1995.- La Grande Galerie de l’Evolution (entretien avec la rédaction). In : Muséum national d’histoire naturelle. Connaissance des Arts, numéro hors série : 20-33.
  • 144. BLANDIN, P., 1996.- Les trois défis de la Grande Galerie de l’Evolution. In : MAIRIE DE PARIS, Université d’été : grands projets de l’Etat à Paris. Centre d’Action Sociale de la Ville de Paris : 46-53.
  • 146. BLANDIN, P., 1997.- A permanent exhibition on evolution at the National Museum of Natural History: a scientific and pedagogical challenge. In : ANONYMOUS, The Communication of Science to the Public, Science and the Media. Proceedings of the V International Conference « The Future of Science has begun » Milan, 15-16 février 1996. Fondazione Carlo Erba, Milan: 155 -172.
  • 165. BLANDIN, P. & GALANGAU-QUERAT, F., 2000.- Des « Relations Homme-Nature » à « L’Homme, facteur d’évolution »: genèse d’un propos muséal. In : EIDELMAN, J. & VAN PRAET, M. (dir.), La muséologie des sciences et ses publics. Regards croisés sur la Grande Galerie de l’Evolution du Muséum national d’histoire naturelle. Presses Universitaires de France, Paris: 31-51.
  • 170. BLANDIN, P., 2002.- The Grande Galerie de l’Evolution (Muséum National d’Histoire Naturelle). In : LORD, G. & LORD, B. (eds.), The Manual of Museum Exhibitions. AltaMira Press, Walnut Creek ,CA : 479-482.
  • 176. LANGLOYS, K. & BLANDIN, P., 2003.- Des objets en plastique dans les collections d’histoire naturelle ? In : PELLEGRINI, B., (dir.), Sciences au musée, sciences nomades. Georg Editeur, Chêne-Bourg/Genève : 49-59.